恭賀本會理事長吳坤墉先生獲頒法國藝術與文學騎士勳章 / M. WU Kun-yung a été fait chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres

 

M. WU Kun-yung a été fait chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres

 

(內文摘自法國在台協會網站:   https://www.france-taipei.org/Editeur-traducteur-homme-de-lettres-et-intellectuel-M-WU-Kun-Yung-est-fait

8日晚間,法國在台協會主任紀博偉先生頒發法國文化部授予的藝術與文學騎士勳章給現任台灣法語譯者協會理事長、無境文化公司總編輯的吳坤墉,推崇吳坤墉長期以來在台法文化交流上的貢獻,不僅以行動確實實踐自己的思想信念,也傳承了東方與西方最美好的文人傳統,是大家最美好的榜樣。吳坤墉於2010年與友人共同創立無境文化公司,翻譯出版人文社會領域書籍,尤其以廢除死刑的議題相關書籍,為社會公共辯論帶來新的思考材料。他也是2013年籌備的台灣法語譯者協會創辦人之一,該協會於2014年正式成立後,次年起即每年舉辦翻譯獎,並推行多項法語譯者工作坊,為台灣的法語翻譯工作者建立更多交流的平台。

Le 8 février, M. Benoit Guidée, directeur du Bureau français a décoré M. Wu, au nom de la Ministre française de la Culture pour son rôle de véritable pont intellectuel entre France et de Taiwan. Après des études en France, son engagement a pris diverses formes : l’enseignement d’abord, dans une université populaire, où il a enseigné la sociologie en cours du soir ; les médias avec une émission sur Radio Taiwan International ; mais surtout l’édition et la traduction, qui constituent le cœur de son travail. M. Wu a co-fondé, en 2010, les Editions Utopies, pour en faire un lieu de réflexion sur les grands sujets de débats politiques, culturels et sociaux. Parallèlement à ce travail remarquable d’édition, il est un traducteur humble et infatigable au service des textes, des lecteurs et des idées. Cette décoration est une façon de marquer la reconnaissance de la France envers un intellectuel au carrefour de deux grandes traditions, celle des intellectuels français engagés dans la vie de la Cité et celle des lettrés de l’Asie confucéenne pour qui la connaissance ne saurait être détachée de la vie et de l’action. 

 

法國在台協會主任紀博偉致詞

Discours par Benoît Guidée pour WU Kun-yung  

Chère Sophie, 
Chers amis, 

Cette soirée française du TIBE au Pigeonnier est un moment que j’attends, comme beaucoup d’entre nous, avec impatience. Chaque année, c’est un moment de fête et d’amitié, autour des livres, des auteurs, autour de la mémoire de Françoise Zylberberg et de Jacques Picoux, autour de Sophie et de son équipe, de celles et ceux qui font vivre ce lieu si particulier à Taipei. 

Mais cette année il y a quelque chose de plus puisque, en ce lieu très particulier nous avons l’occasion de saluer le parcours et l’œuvre de quelqu’un de très particulier. Cette personne c’est notre ami Wu Kun Yung, à qui je vais remettre dans quelques minutes les insignes de chevalier de l’ordre des arts et lettres, au nom de Françoise Nyssen. Françoise Nyssen est ministre de la culture, mais c’est aussi et d’abord une femme des livres, et elle aurait certainement aimé être là, avec nous, pour célébrer - au milieu des livres, au milieu des auteurs, éditeurs, entrepreneurs du livre sous toutes ses formes - l’œuvre d’un éditeur, d’un traducteur, d’un homme de lettres et d’un intellectuel au sens fort du terme. Un intellectuel au carrefour de deux grandes traditions, celle des intellectuels français engagés dans la vie de la Cité et celle des lettrés de l’Asie confucéenne pour qui la connaissance ne saurait être détachée de la vie et de l’action. Ce double héritage, ces deux façons d’accorder de manière indissociable réflexion et engagement, courent à travers toute votre carrière. 

Cela dès l’origine, puisque l’année même où vous entrez au département de sociologie de l’université Taida, 1987 est celle de la levée de la loi martiale. Vous vous engagez activement dans la lutte pour la démocratie et vos années étudiantes seront des années militantes, de participation aux grandes manifestations du mouvement démocratique. Vous vous y engagez avec passion, mais avec toujours le souci de préserver votre liberté d’esprit, conjuguant l’engagement et la réflexion, l’idéalisme et la capacité d’interroger les certitudes. 

C’est sans doute pour cela que, au moment où la plupart de vos camarades regardent vers les Etats-Unis, les échos lointains de Foucault ou de l’Ecole de Francfort vous attirent vers l’Europe. Le choix de la France relève alors de l’évidence… enfin presque : vous arrivez trop tard pour commencer les cours d’allemand à l’Institut Goethe, et l’Alliance française – peut-être moins rigide sur la ponctualité - vous ouvre ses portes. Et cela tombe bien, vous vous découvrez une affinité naturelle avec la culture française. Au point qu’aujourd’hui, on a l’impression que, comme Obélix avec la potion magique, vous êtes tombé dedans quand vous étiez petit. Et d’ailleurs, comme Obélix, vous en reprenez dès que vous pouvez ! Sous toutes ses formes, puisque l’on vous rencontre aussi bien aux concerts de l’Ensemble Intercomporain qu’à la Nuit Blanche ou aux spectacles de nos grands chorégraphes et auteurs de théâtre.

Car la première chose qui frappe vos interlocuteurs, c’est que vous êtes plus français que beaucoup d’entre nous. Vous parlez notre langue avec plus de finesse, vous connaissez nos auteurs avec plus de profondeur, et vous avez pris certains de nos traits nationaux – les bons naturellement - cet esprit critique, voire caustique, un brin désabusé, qui est un peu notre signe de reconnaissance. Les huit ans passés en France, ces années d’études de sociologie et de philosophie politique, à Paris 5, à la Sorbonne, à l’EHESS enfin, s’entendent dans votre façon de vous exprimer, se lisent dans vos gestes mêmes. A vrai dire, vous faites une concurrence déloyale à Eva Air et Air France : pas besoin de payer un billet d’avion, il suffit de s’asseoir à côté de vous et on se retrouve au Quartier Latin ! Plus sérieusement, vos années françaises furent aussi des années d’intense dialogue intellectuel, avec Raymond Boudon, et surtout avec Miguel Abensour, qui a profondément orienté votre recherche et avec lequel vous avez développé cette capacité si rare : celle, pour reprendre une belle expression qu’Abensour a forgée, de penser à contre-pente. 

Mais, je l’ai dit, pour vous pas de pensée sans action. La réflexion intellectuelle ne s’élabore pas dans une tour d’ivoire, mais au plus près de l’humanité et de l’histoire. C’est ainsi que vous partez faire l’école buissonnière comme journaliste dans les Balkans. A la fin des guerres yougoslaves, vous êtes l’un des premiers journalistes asiatiques à faire connaître la réalité des camps de réfugiés en Macédoine, à entrer au Kosovo, à observer sur le terrain le travail de Médecins sans frontières. 
C’est alors que vous décidez de rentrer à Taiwan, où vous poursuivez cet engagement sous diverses formes : 

  • l’enseignement d’abord, non pas à l’université, qui vous tend les bras mais dont vous avez choisi de rester à distance, mais dans une université populaire, où vous enseignez la sociologie en cours du soir ; les médias aussi, avec une émission sur Radio Taiwan International ;  
  • surtout l’édition et la traduction, qui constituent le cœur de votre travail. Vous co-fondez, en 2010, les Editions Utopies, et vous en faites un lieu de réflexion sur la politique, la sexualité, l’éducation, et bien sûr l’abolition de la peine de mort, dont vous êtes, à Taiwan, l’un des avocats les plus passionnés. Sur ce sujet, vous ne craignez pas d’être à contre-pente, cela demande un vrai courage dans une île où l’opinion publique est massivement favorable à la peine capitale. 

Parallèlement à ce travail remarquable d’édition, votre œuvre de traducteur ajoute la marque du labeur, de l’humilité, du service rendu aux textes, aux lecteurs, aux idées. Solitaire, franc-tireur, électron libre, vous êtes, en même temps, un homme habité par le sens de l’action collective et du bien commun. Pour faire reconnaitre la valeur intrinsèque de l’art du traducteur, vous avez joué un rôle décisif dans la création de l’Association des traducteurs taiwanais de français, en 2013, dont vous êtes aujourd’hui le président. Là aussi, la réflexion intellectuelle sur le rôle de la traduction se conjugue avec des tâches très concrètes, la recherche de soutiens et de mécénat, l’organisation minutieuse de formations de grande qualité, l’étude juridique des contrats pour défendre les droits des traducteurs. Les résultats de ce travail sont déjà visibles et vous pouvez compter sur notre soutien pour la suite. 

Comme éditeur et comme traducteur, vous jouez un rôle politique précieux. Dans un monde où l’on n’a jamais construit autant de murs, dans un monde où certains programmes politiques se réduisent même à construire des murs, vous préférez construire des ponts, de ces ponts intellectuels et affectifs reliant les cultures dont nous avons tant besoin. En rendant accessible aux lecteurs taiwanais de nombreux textes majeurs des sciences humaines françaises, vous rendez possible la circulation des idées, la circulation des femmes et des hommes. Vous savez quelle importance nous attachons, au Bureau Français, au débat d’idées et à la mise en lien des sociétés civiles pour construire ensemble le monde de demain. Ce rôle que vous jouez, avec d’autres personnalités comme Sophie, avec des lieux comme le Pigeonnier, nous inspire et nous encourage.

Enfin, cher Kun Yung, votre engagement nous impressionne, mais c’est plus que tout votre amitié qui nous est précieuse. Nous tous, ici réunis, savons que nous pouvons compter sur votre fidélité et votre générosité, dans notre vie professionnelle, comme sur un plan personnel. On peut faire une sociologie ou une anthropologie du don, mais je voudrais ce soir simplement rendre hommage à votre capacité à donner, sans attendre en retour ni titre, ni gloire, ni même un résultat. Permettez-moi, ce soir, au nom de la République française, de vous redonner un peu de ce que nous avons reçu de vous. 

Taipei, le 8 février 2018

 

Discours de remerciements / WU Kun-yung

吳坤墉理事長感謝致詞

這應該是我自己覺得最滿懷感觸又困難的一次致詞。一方面是因為今晚的儀式,如此的莊重,又同時是這麼的親切;另一方面是因為,大使先生,我以往從來沒有想像過能夠獲得藝術與文學騎士勳章這項殊榮,為此我要表達由衷的感謝。

此刻,我想到的是我的父親與母親,他們讓我認識生命的滋味以及知識的樂趣,更讓我學到永遠保持好奇,以及樂於分享。也打從心裡想念我高中的管樂老師,加拿大籍的馬良神父,在80年代那封閉而威權的台灣,藉由古典音樂,他為我打開通往世界的一扇門,從藝術的經驗,引導我去探索西方的歷史與思想。還想到的是我在法國的指導教授,M. Miguel Abensour, 他帶我深入的去研讀一個批判的政治哲學的傳統,而即使後來我決定放棄攻讀博士,與他亦師亦友的關係依然是我最珍視的。

他們四位都已經不在人世,但我深知,是他們造就了今日之我。

當然,我更要感謝在場的諸位,我志同道合的夥伴:台灣法語譯者協會、無境文化出版、信鴿法國書店、法國在台協會的夥伴與好朋友。因為這個榮耀不是給我一人,是要與諸位一起分享的!沒有你們,我不可能自己去實現那些我們一起完成的種種。當然,也要感謝我的摯友,好比在這裡的Anne Dewees, 及在巴黎的Valentin Pelosse,還有我的家人:我的姊姊,外甥女,還有琪雯。

今晚讓我覺得最開心的,是一直以來,我都很任性的,只選擇讓我充滿熱情的事去做,只願意致力在我認為一定要跟人分享的事務上......,如此而獲得這個勳章。這項肯定,會支持我繼續以相同的勇氣在這條道路上努力。

感謝大家。

吳坤墉  2018.02.08

 

Jamais une prise de parole n’a été aussi émouvante pour moi, ni aussi difficile. Aussi émouvante en raison de la solennité de cette cérémonie et en même temps de son caractère très amical. Et de plus, je n'imaginais pas recevoir un jour les insignes de l’Ordre des Arts et des Lettres, Monsieur l’Ambassadeur. Et je vous en remercie très profondément.

J'ai à cet instant une pensée pour mes parents, qui m’ont donné le goût du savoir et de la vie, et qui m’ont appris à être toujours curieux et généreux. Je pense très fort aussi à mon professeur de musique au Lycée, le Père Robert Massé qui dans le Taiwan fermé et autoritaire des années 80, à travers la musique classique, m’a ouvert une grande porte vers le monde, m’a guidé vers l’histoire et la pensée occidentales par le biais de l’expérience artistique. Et je pense à mon directeur de thèse, M. Miguel Abensour, grâce à qui j’ai pu étudier en profondeur la tradition de la philosophie politique critique. Et même après ma décision d’abandonner ma thèse, notre grande amitié est restée une des choses les plus précieuses pour moi.

Ils ne sont plus parmi nous, mais je sais que je leur dois tout ce que je suis aujourd’hui.

Et je voudrais vous remercier, vous, aussi, mes chers compagnons de route: chers amis de l’Association taïwanaise des traducteurs de français, des Editions Utopie, de la librairie du Pigeonnier et du Bureau français de Taipei, parce que cet honneur n’est pas pour moi seul, il est à partager avec vous, sans qui je n’aurais jamais pu réaliser tout ce que nous avons accompli ensemble. Et je n’oublie pas ce soir mes chers amis Anne Dewees, Valentin Pelosse entre autres… et ma famille, mes sœurs, ma nièce et Chiwen.

Ma plus grande joie ce soir, c’est de recevoir ces insignes du fait d’avoir simplement, depuis toujours, uniquement consacré mon énergie à ce qui m’enthousiasme, à ce qu’il me semble essentiel de partager. Pour moi, cette reconnaissance est une invitation à continuer ce chemin avec le même courage!

Je vous remercie."

Taipei, le 8 février 2018